À propos de LE MONDE ET SON CONTRAIRE
C’est grâce à la littérature que le protagoniste peut mettre des mots sur la société dans laquelle il vit, absurde et violente, friande de catégorisation, où chaque phrase est dans sa case, chaque citoyen dans son dossier.
À travers l’évocation de « La Métamorphose », c’est la sensation physique de l’enfermement qui veut être exprimée. C’est quoi, se sentir vermine ? Cette inquiétante étrangeté d’être une chose horrible aux yeux des autres. Être l’étrange, l’étranger, l’inadapté, le fou. C’est par le portrait d’un auteur, Kafka, que le protagoniste met en lumière son rapport à son père, à la classe ouvrière, à ce sentiment d’illégitimité face à la parole. C’est quoi venir d’un milieu où on ne lit pas ? Comment les mots nous manquent ? Nous marquent ? Comment nous font-ils passer dans un autre monde ? Ou au contraire : comment nous enferment-ils ? Il ne s’agit donc pas d’interpréter Franz Kafka. Il s’agit de jouer, “d’être un autre” comme l’écrit Leslie Kaplan. Dire les mots pour « briser la mer gelée qui est en nous » (Kafka). Et jouer. Jouer comme un fou, tenter d’être un autre, risquer de paraître anormal. Etranger devant tous. C’est-à-dire oser se métamorphoser. Je vois ce spectacle comme une ôde aux êtres étranges, bizarroïdes, à ceux qui sont à côté, laissés pour compte, qu’on regarde de travers…
Ceci est une blessure métamorphosée en spectacle pour que la joie se partage. Une résilience insolite et malicieuse.
– ANTHONY DEVAUX, Metteur en scène
ON FAIT UN CAUCHEMAR
ET ON SE RÉVEILLE,
TOUJOURS DANS LE
CAUCHEMAR
ET C’EST QUOI ?
ON EST PLUS CE QU’ON ÉTAIT.
Ce que j’aime retenir de Kafka, outre l’aspect prophétique de son œuvre, c’est son désir de liberté qu’il nous transmet quand on le lit. Cette soif infinie de liberté dans toutes les directions a d’ailleurs été fondamentale dans notre travail. Jouer à jouer ; se laisser entrainer, faire des échos. Tenter de faire de la littérature un corps expressif et, étant seul sur scène, laisser jouer la foule qui est en soi.
Cette pièce est devenue un parcours libre expressionniste où l’acteur s’essaye à une formule, se lance, rature, prend de la distance, tente un déploiement, ouvre des parenthèses et, au bout d’une heure et cinq minutes, finit par mettre un point.
Tout comme l’écrivain, il se bat pour « sauter en dehors de la rangée des assassins ».
« Un matin au réveil au sortir d’un rêve agité, Gregor Samsa se trouva transformé en une véritable vermine »
Cette première phrase de La Métamorphose réunit la plupart des leitmotivs du spectacle.
Déjà présent lors de l’entrée du public, le comédien cherche dans un premier temps la meilleure façon d’interpréter une vermine. Engoncé dans un costume monstrueux et grotesque, il exécute un playback performatif et décalé inspiré des postures expressionnistes du début du XXème siècle et des dessins de Kafka. Puis, comme si le spectacle prenait fin, le voilà qui enchaîne avec un faux bord-plateau. Désamorçant les formes, l’acteur s’endort et se réveille en permanence dans un nouveau rêve, faisant s’entremêler différents tableaux, comme autant d’associations qui tissent une trame où le réel est trompeur. Étrange et facétieux, le protagoniste est aspiré dans des univers kafkaïens, emportant avec lui les spectateurs, témoins privilégiés de sa risible aliénation.
LA CRÉATION SONORE
Dialoguant avec le comédien, l’univers sonore est le deuxième protagoniste du spectacle. Il fait exister au plateau ce qui nous submerge dans les fictions de Kafka : un univers ambigu, un réel cauchemar, une réalité déformée ; une poésie tantôt angoissante, tantôt grotesque.
Partenaire et adversaire du protagoniste, cette partition sonore constitue l’une des brèches d’un réel qui se déchire – et que l’acteur tente de recoudre en se
réappropriant la parole. Jeanne Susin allie des tonalités classiques à la composition électronique. Traduction musicale de notre perception de l’univers mental de Kafka aussi bien que des thématiques abordées dans le texte de Leslie Kaplan, cet univers sonore crée un ensemble cohérent et organique. À certains moments, c’est d’une radio miteuse que nous parviennent une ritournelle lancinante, des fragments du texte, une sonnerie de réveil… Des interactions sonores qui influencent le déroulement de la fiction.
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