
Avec Frantz, j’ai tâché de donner forme à une question de perte et d’identité. Que reste-t-il de nous lorsqu’une part de nous-même qui est autre nous est enlevée ? Et surtout, comment le dire ? Car je reste convaincu que parvenir à poser des mots, des mots organiques, des mots qui répondent à une nécessité vitale ; c’est déjà recréer du sens et de la lumière pour faire la nique à la mort. Or, c’est en cherchant avec les comédiens les mouvements justes et l’évidence de ce que leur dictent leurs corps qu’il m’a paru possible de faire émerger une poésie. Nous avons donc écrit le texte en va et vient avec le plateau. Tout au long du parcours de Frantz, nous voulions avec l’équipe prendre une distance avec ce que la situation comportait de pathétique. D’une certaine manière, nous étions plus intéressés par la façon dont le quotidien serait mis à nu par la mort, dans toute sa simplicité et son ironie.
Et puis, nous jugions plus à-propos et plus touchant de rire avec tendresse des mésaventures de Frantz (qui sont les nôtres) que de plonger dans l’horreur. Après tout, le diable mais aussi l’espoir se nichent dans les détails, aussi cons fussent-ils. Pour cela, nous nous sommes progressivement tournés durant les répétitions vers un univers hybride et fantasque : un comédien incarnerait le personnage de Frantz, seul, dans un espace vide et interagirait avec tout un monde complètement inexistant au plateau qui constituerait sa réalité. Sur le côté, trois comédiens bruiteraient le monde de Frantz tandis qu’un narrateur qu’on comprendrait au fur et à mesure être le père de Frantz serait détenteur de la parole. Par cet entrelacement entre mouvement, bruitage et narration, le projet vise à créer un univers décalé, facétieux mais aussi à rendre compte du détraquement du réel que traverse Frantz jusqu’à ce qu’il reprenne un goût au monde différent. Plus vif.
Marc Granier


PROJET LAURÉAT
AVEC 5 AUTRES COMPAGNIES POUR LA 4ÈME ÉDITION DU FESTIVAL COURT MAIS PAS VITE, PRÉVUE EN MAI 2020 ET FINALEMENT ANNULÉE
EXTRAIT
Frantz aurait encore pu longtemps continuer comme ça. Il avait toutes les compétences pour, je vous assure. Et la journée du lendemain aurait pu effectivement ressembler au mardi de la semaine précédente. C’était plus que probable d’ailleurs, dans la mesure où tous les mardis depuis quatre ans qu’il était entré dans la vie active se ressemblaient à en crever. En tout, cela faisait 209 mardis auxquels il fallait tout de même soustraire quelques mardis de vacances sur la West Coast, quelques mardis à Barcelone, une paire de mardis dans le Puy-de-Dôme, un mardi à Saint-Raphaël, et un mardi de grosse fièvre qu’il avait mis à profit pour mettre à jour son profil Tinder. Tout aurait pu donc se maintenir dans la plus parfaite banalité quand le téléphone de Frantz sonna à 23h13.