Antoine Vitez

Il n'est pas de mois sans qu'une pépite nous soit révélée / Le Figaro

par Antoine Vitez

A partir de 2005, à l’initiative de Jeanne Vitez, l’association des Amis d’Antoine Vitez a travaillé, sous la direction de Jeanne Vitez, Marie Vitez et Patrick Zuzalla, à la conception d’une exposition de photographies intitulée Antoine Vitez photographe. Il s’agissait de faire découvrir le travail photographique, méconnu, voire inconnu, d’Antoine Vitez, et d’éclairer ainsi sous un autre angle l’ensemble de l’œuvre théâtrale.

En effet, en parallèle de son activité de mise en scène, Antoine Vitez écrivait, dessinait et photographiait. Un journal et des poèmes, des centaines de dessins à l’encre de Chine, des milliers de photographies. L’essentiel de son travail photographique, entre 1968 et 1990, est réalisé avec un appareil reflex (24x36) et est constitué principalement d’une grande série de noir et blanc qui comprend des photos de théâtre et des portraits. Les portraits constituent la partie la plus importante, par son nombre mais aussi par le choix d’une forme photographique propice au saisissement des êtres, à « la forme de l’absence » (titre d’un poème d’Antoine Vitez, in L’Essai de solitude, P.O.L, 1981) avec un travail aigu, incisif sur le sujet, les mains, les regards. Le reflex, modifiant l’angle de vue, capture plus qu’il ne fixe, et par cette série des photos de théâtre et des portraits, nous introduit autrement dans l’intime de la pensée. S’y révèlent à nous les familles électives – sa famille, ses amis, ses compagnons ou collaborateurs. Nous frappent aussi la proximité et la tranquillité des visages, la densité des regards, le doux saisissement des êtres. Les photos de théâtre regroupent les photos de spectacles, de répétitions, beaucoup de photos de coulisses, à nouveau une série de portraits de comédiens au miroir, au maquillage. Au printemps 2010, à l’occasion des vingt ans de la mort d’Antoine Vitez, l’exposition fut présentée à Paris dans son intégralité, dans deux lieux différents sur la même période : Portraits de familles à l’Espace Niemeyer, et Portraits au miroir au Théâtre du Vieux-Colombier.

Parole d'Antoine Vitez :
Mon père était photographe de quartier. Les gens venaient chez lui se faire "tirer le portrait". Ce type de photographie a presque totalement disparu ; maintenant tout le monde fait le portrait de tout le monde ; la photographie est devenue un mode d’écriture rapide, de notation. (…)
Mon père, pour l’anniversaire de mes douze ans, m’a offert un appareil Voigtländer 6x9. Puis j’ai eu un semi petit format (c’était une moitié de 6x9) comportant un télémètre couplé avec lequel j’ai pu commencer à faire des mesures de distance. Par ailleurs je me suis initié à la cellule photo-électrique séparée que je portais en bandoulière. Mon père me faisait faire des exercices pour me permettre d’apprécier les distances et la lumière sans cellule. Adolescent, dans ma première période, je photographiais tout : j’ai des milliers de photographies de la vie en 1942-43, de la vie à la maison, de la Normandie. Je prenais les choses qui m’émouvaient — c’est toujours ce que je photographie d’ailleurs. Je jouais avec la photographie ; je faisais mes tirages dans l’atelier de mon père. Au début de l’âge adulte, j’ai cessé de faire de la photographie ; j’ai vécu loin de mon père, je n’avais plus d’appareil et peu de moyens financiers pour pratiquer cet art. J’ai oublié la photographie. J’ai recommencé à faire de la photographie vers 35 ans en reprenant ma carrière théâtrale que j’avais interrompue. J’ai acheté un Pentax puis des objectifs différents et je me suis remis à photographier systématiquement. Puis j’ai changé mon Pentax contre un Olympus. Mon rêve maintenant est d’avoir un matériel complet Leica.
Je photographie toujours tout : peut-être plus les gens qu’autrefois. J’ai beaucoup photographié mes amis, ma famille — j’ai énormément pris ma mère ; depuis quelques temps je la photographie pour voir la progression de son âge et pour la retenir d’une certaine façon. J’ai photographié beaucoup le théâtre, les spectacles un peu comme un photographe de théâtre en me mettant dans la salle, mais j’ai surtout énormément photographié le théâtre des coulisses.

Extrait de l’entretien mené par Chantal Meyer-Plantureaux avec Antoine Vitez,
6 décembre 1988, à la Comédie-Française